L’adolescence sous perfusion numérique en débat samedi à l’Animu

Entretien avec la psychologue clinicienne Sabine Duflo avant sa conférence de samedi à l’Animu autour du lien entre environnement virtuel et santé psychique des adolescents

La conférence : « L’adolescence sous perfusion numérique : dis-moi ce que tu regardes je te dirais qui tu es devenu » qui aura lieu ce samedi à 10h30 à L’Animu interpelle et nous concerne. Dans ce monde « fast food » où le virtuel grandit à vitesse grand V, il est des bascules pouvant engendrer, dans la période de l’adolescence, des situations addictives avérées. La psychologue clinicienne Sabine Duflo évoquera ce sujet délicat lors d’une conférence ouverte au public le plus large possible.

En amont de ce rendez-vous, des ateliers pour les adolescents et les adultes sur ce même sujet seront proposés aujourd’hui et demain en présence de la metteure en scène Anne Zimmer et de la photographe Muriel Larie.

Avant même la conférence de samedi, Sabine Duflo évoque les grandes lignes de ce rendez-vous.

Quelles sont les conséquences de cette « perfusion sous numérique » des adolescents ?

Sabine Duflo : Avant de parler des conséquences, rappelons simplement les temps d’expositions des jeunes aujourd’hui. Ces temps sont si importants qu’il est justifié de parler d’une jeunesse sous «  perfusion numérique. »

La dernière étude IPSOS de 2022, commandée par l’UNAF et l’OPEN, donne les temps d’exposition suivants:

  • entre 8 et 12 ans : 4h44 d’écrans par jour
  • entre 13 et 14 ans 7h22 par jour
  • entre 15 et 18 ans : + de 8 heures par jour

    L’ouvrage de Sabine Duflo paru aux éditions Marabout

Ces chiffres sont énormes car ils portent sur les temps cumulés d’écrans. Beaucoup d’adolescents aujourd’hui regardent une série tout en discutant avec leurs copains sur un ou plusieurs réseaux sociaux. Pour résumer on peut dire que les adolescents y passent leur journée, avec un doublement du temps d’exposition vers 11 ans ce qui correspond l’âge où les adolescents acquièrent leur premier portable à l’entrée au collège. La première conséquence est celle du temps volé aux autres activités et compétences que le jeune doit acquérir à cet âge-là.

La conséquence la plus visible et sur laquelle il y a consensus est la détérioration du sommeil. En France la durée moyenne du sommeil a baissé de 1H30 en cinquante ans. La consultation continue des écrans en particulier avant de s’endormir ainsi que la nuit retarde l’heure d’endormissement et joue sur la qualité du sommeil. Mal dormir et moins dormir ont des effets directs sur la capacité d’attention et de concentration. Quand l’adolescent n’arrive plus à se concentrer, il ne retient pas et cela finit à moyen et long terme par jouer sur ses résultats scolaires. Mais on observe aussi des effets sur l’humeur (anxiété), sur la sociabilité, sur l’image et l’estime de soi, le métabolisme (prise de poids).

Pourquoi certains ados ont-ils tendance à se réfugier dans ce monde ?

Sabine Duflo : Les média numériques ne sont pas une entreprise vertueuse. L’objectif des réseaux sociaux, des séries, les jeux vidéos en ligne, bref de toute l’industrie du divertissement que consomment les jeunes est de retenir captif le plus longtemps possible l’utilisateur. Cette industrie use de ficelles  qu’on appelle Captology. La récompense aléatoire dans les jeux vidéos, l’enchainement ininterrompu des très courtes vidéos sur TikTok, ou YouTube, le phénomène des « like » etc. Tous ces procédés concourent à produire chez le jeune un comportement d’addiction c’est-à-dire une incapacité à s’arrêter ou du moins une très grande difficulté à le faire. Souvenez vous des chiffres d’exposition précédemment cités : c’est pratiquement toute une jeunesse qui est aujourd’hui enchainée au numérique. Or un adolescent est, par nature, un être fragile parce qu’en construction. Ses compétences sont en développement et le numérique est un frein au développement de bon nombre de ces compétences. Aux parents qui m’amènent leur adolescent et se plaignent de son addiction au portable j’ai l’habitude de répondre que ce n’est pas leur enfant le problème mais ces objets qui ont été conçus pour produire une incapacité à s’en détacher.

La conférence de Sabine Duflo se tient samedi 4 novembre à l’Animu

Quels sont les signes qui peuvent alerter sur ce que l’on peut qualifier d’addiction ?

Sabine Duflo : Il s’agit d’une addiction sans substance qu’on nomme addiction comportementale. Les signes d’alerte sont les mêmes que dans les autres types d’addiction. Un jeune qui passe un temps de plus en plus en plus long sur les écrans (portable, console, TV etc.), qui refuse de s’inscrire à une ou des activités extra scolaires lors de la rentrée (sport, musique, etc.), un jeune qui ne sort plus pour voir ses amis et prétexte que leur fréquentation sur les réseaux suffit, un jeune qui discute moins avec ses parents, sa fratrie lors des repas, qui a toujours l’air pressé de regagner sa chambre pour y poursuivre sa vie virtuelle, tous ces comportements doivent alerter les parents.

 « La véritable bataille se joue à un tout autre niveau »

Quel est le rôle des parents ?

Sabine Duflo : L’arrivée du numérique partout, dans tous les secteurs d’activité en particulier au collège et au lycée a rendu très compliqué le rôle éducatif des parents. Même ceux qui souhaitent établir des règles, limiter les temps de connexion sont toujours vaincus par l’argument massue de l’adolescent : « j’ai besoin d’une connexion internet pour faire mes devoirs ». Et cela est souvent vrai. Malheureusement, les réseaux sociaux, les jeux vidéo en ligne, les séries ont un pouvoir attractif 1000 fois plus fort que moncartable.net.

Sans vouloir tout interdire, quelles sont les limites raisonnables dans le sens où il n’y a jamais de mauvais outils mais plutôt des gens qui ne savent pas s’en servir ?

Sabine Duflo : Dans la mesure où on a affaire à un objet qui produit un comportement d’addiction, la simple prévention pour les mineurs ne suffira pas. Il faudra probablement en passer par une législation. C’est dans ce sens qu’ont été votées une série de lois au Sénat au printemps dernier, notamment celle d’une majorité numérique. Cette loi prévoit un accès des jeunes aux réseaux sociaux à partir de 15 ans sauf en cas d’accord d’un des parents. Mais la loi doit d’abord être soumise au DSA (Digital Service Act, législation européenne sur les services numériques) et on attend les décrets d’application.

Pour moi la véritable bataille se joue à un autre niveau entre d’un côté des industries superpuissantes, les GAFAM, et de l’autre l’Etat qui a subordonné tous les secteurs d’activités de la société au numérique.

Sabine Duflo est psychologue clinicienne à l’EPSM Georges Daumezon à Fleury-les-Aubrais. Unité d’hospitalisation temps plein adolescents.

 

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